Maltraitance managériale tabou ?

Ce vocable peut surprendre parce qu’il évoque plus évidemment la maltraitance des enfants, les violences faites aux femmes par leurs conjoints ou celles des personnes âgées dans des établissements de santé.

Chacune de ces catégories de la population présente les caractéristiques communes : une dépendance affective ou financière, des formes de fragilité, des violences physiques ou morales…

Et la maltraitance s’exprime par l’exercice abusif d’un pouvoir sur un tiers. Dans une organisation, au travail, les relations professionnelles et notamment les relations hiérarchiques peuvent s’apparenter dans certaines situations à ces formes de maltraitance.

Si les formes de harcèlement moral ou sexuel sont clairement dénoncées et juridiquement prises en compte, il ne faut pas banaliser la réalité quotidienne d’un(e) salarié(e) confronté à son hiérarchique, au comportement abusif, sans aucune possibilité de recours.


Diable et maltraitance managériale

Ces pratiques sont plus insidieuses, il est plus difficile de les identifier et les dénoncer, mais elles sont d’une grande violence.

Ces managers « prédateurs » ont le don de repérer la faille ou la faiblesse, l’éventuel doute ou la forte conscience professionnelle du salarié, son besoin de reconnaissance… tout ce qui fait les caractéristiques d’une « victime » potentielle.

Ensuite, ils mettent en place leur stratégie pour s’assurer leur mainmise sur le/la salarié(e).



La roue du travail


Que penser de ce dirigeant qui reconnait embaucher préférentiellement des jeunes femmes en situation précaire en charge d’une famille monoparentale… cette configuration lui garantissant des salariées « dociles » qui ferait « tout » pour garder leur travail auxquelles il pourra demander plus heures supplémentaires, plus de taches pour un(e) salarié(e) parfois moindre… sans aller jusqu’aux faveurs qui lui vaudraient le risque d’une condamnation… il s’agit pour lui d’une relation de pouvoir…

Mais comment en arrive-t-on là ? Si l’on essaie d’analyser le processus qui permet à un manager une telle prise de pouvoir et d’emprise sur l’autre… voilà ce que l’on peut observer…

1- Une première phase où le manager se montre « gentil » « compréhensif » à l’écoute… soucieux du bien-être du/de la salarié(e)… celui-ci entre en confiance, exprime même de la reconnaissance… crois dans le discours engageant du manager.

2- Dans la deuxième phase, le manager affirme son pouvoir en faisant comprendre au salarié tout ce qu’il lui doit, et tout ce qu’il a fait pour lui…et là commence la phase abusive, avec les demandes hors cadre… des heures supplémentaires, du travail en plus, des taches supplémentaire, le report de congés, des services personnels… la porte est ouverte au pire puisque que le manager fait bien comprendre au salarié qui résisterait qu’il n’a aucune chance que quelqu’un le croit et qu’il n’y a aucune issue à sa situation si ce n’est la soumission.

3- C’est la troisième phase, où le manager savoure le pouvoir qu’il exerce désormais sur le salarié, il l’isole du groupe, fait en sorte de lui rappeler fréquemment par toutes sortes de comportements ou d’allusions même en groupe, que c’est lui qui décide et que le salarié est devenu l’objet de son bon vouloir.

L’absence de solutions, de perspectives, le silence imposé, la solitude au sein même d’une équipe, ce sont les sources de désespérance qui amènent certaines personnes au passage à l’acte ultime...

On s’interroge alors légitimement, comment ces personnes peuvent-elles avoir des comportements aussi visibles sans que personne n’intervienne… que font les collègues, que fait la hiérarchie ?

Les collègues ? Le comportement du manager est en général connu des autres membres de l’équipe, ils le voient faire, à chaque nouveau recruté c’est le même scénario… et même s’ils peuvent essayer discrètement d’alerter le/la salarié(e), ils sont bien conscients qu’ils ne pourront pas empêcher leur manager d’agir.

Et croyez bien que le manager leur fait comprendre qu’il ne vaut mieux pas s’opposer à lui… il décide des primes, des avancements, des appréciations… les moyens de pression ne manquent pas et le/la salarié(e) victime comprend vite qu’il ne trouvera pas d’aide ni de soutien auprès de ses collègues.

Cela renforce encore l’emprise du manager pervers qui se sent libre d’exercer son ascendance sans opposition de l’équipe.

Pour la hiérarchie… en dehors du fait qu’elle n’est souvent pas informée, elle est souvent absente quand il s’agit d’une équipe ou d’un site géré à distance.

Et la réalité est bien plus simple, ce type de manager est « confortable » pour une organisation, les résultats et les objectifs sont atteints, aucun problème de production ou de dysfonctionnements, pas de remontées négatives du terrain… pourquoi une Direction irait elle chercher plus loin… pour peu qu’il n’y ait pas de représentation du personnel, on peut parler de « silence complice ».

D’ailleurs si le manager sent que le/la salarié(e) pourrait devenir un problème, il s’organise pour s’en débarrasser par un licenciement, et tout ce qui pourrait être dénoncé par cet ex-collaborateur ne seraient que de petites vengeances d’une personne aigrie… et la Direction validera la décision de ce manager si efficace… si professionnel et performant…

Et c’est ainsi que ce type de manager peut exercer son autorité pendant des années avant que des circonstances ou des cas graves ne finissent, par nécessité, qu’on s’intéresse à ses pratiques.

En effet, les seules situations qui ont pu être dénoncées, sont celles qui ont eu un impact médiatique après une série de suicides, des grèves de la faim, des manifestations publiques, quand on ne peut plus nier le problème.

Mais idéalement, les entreprises (ou les organisations par exemple des ONG ou des congrégations religieuses) préfèrent régler la question discrètement pour protéger leur réputation… avec un chèque ou une mutation…

Hélas combien de souffrances, de dépressions, de passage à l’acte avant qu’un manager maltraitant soit sorti du système… la loi du silence protège ces individus… car prendre le risque d’en parler, c’est prendre le risque de s’exposer, de devoir se justifier, et de répondre à ces questions :

==> « Pourquoi avez-vous accepté cette situation pendant si longtemps ? »

==> « Pourquoi n’avez-vous pas quitté cette entreprise et ce manager maltraitant ? » comme un parallèle avec les femmes battues, « pourquoi n’avez-vous pas quitté votre conjoint violent ? »

Ces questions sont posées par des personnes qui analysent objectivement de l’extérieur, sans prendre en compte le processus qui dure parfois des mois ou des années et qui casse toutes les résistances et exploitent les fragilités de la personne, sa sincérité, sa dépendance affective ou financière… l’absence d’écoute, le sentiment d’isolement et de profonde solitude.

==> « Ne croyez-vous pas, que si on cumule une surcharge de travail, l’absence de repos, de récupération, de reconnaissance, de considération, la surdité de la hiérarchie qui ne veut pas de « vagues », la dégradation de la qualité de vie familiale et sociale… tous les éléments réunis pour que la plus aguerrie des personnalités s’effondre… alors imaginez une femme en charge de jeunes enfants, contrainte à accepter tous les jobs pour les garder, ou celle qui au travail subit un manager pervers et à la maison un conjoint violent… »

Donc si le manager maltraitant peut exercer son pouvoir avec la complicité silencieuse de sa hiérarchie, qu’il utilise son statut pour faire taire les membres de l’équipe et isole chacune de ses victimes pour mieux la dominer… comment faire ?

En interne, rares sont les victimes qui ont la force de dénoncer ces pratiques, elles se trouvent dans une configuration où elles peuvent tout perdre…vous êtes témoin, collègue… difficile de prendre la défense d’un /d’une collègue qui ne confirmera pas vos propos…elle a en général trop peur des conséquences…sauf à ce que vous trouviez dans l’organisation en la personne du DRH ou du Dirigeant, une ou des personnes qui vous entendra et agira… un représentant du personnel qui aura le courage personnel d’aller dénoncer ces agissements… ou des interlocuteurs ressources à l’extérieur (association, médecins ou inspecteurs du travail… avocats…) qui pourront vous accompagner.

Puis il reste une option rarement exploitée, mais très efficace, c’est la force du collectif… c’est parvenir à ce que toute une équipe ne supportant plus les comportements déviants d’un manager abusif, le lui disent ensemble lors d’une réunion par exemple… car autant un cas isolé d’un plaignant peut passer, autant plusieurs personnes décidées peuvent changer le rapport de force et mettre fin aux agissements d’un seul individu serait-il même un cadre de direction.

En conclusion, la parole d’un collectif portée en interne mais aussi en externe peut avoir plus d’efficacité qu’une démarche individuelle… confronté ou témoin trouvez du soutien auprès d’interlocuteurs ressources qui connaissent les procédures et les meilleures façons d’agir pour arrêter ces pratiques managériales trop souvent banalisées dans des organisations plus soucieuses des résultats financiers que de la QVT de leurs collaborateurs.

Mais ces situations restent-elles sporadiques ?